par Thomas Grandperrin

Publié le 20 Avril, 2020

Cet article a été initialement publié en anglais sur Freshfruitportal.com.

 

J’ai eu une conversation très intéressante avec Chrissie Davis, la responsable nationale de l’équipe de Koppert États-Unis chargée de l’agriculture plein champ. Koppert Biological Systems est le leader mondial de la protection biologique des cultures (grâce à des micro-organismes et macro-organismes) et de la pollinisation naturelle. Après avoir débuté dans le domaine des plantes ornementales sous serre il y a 17 ans, Chrissie se concentre maintenant sur les cultures de fruits rouges et s’occupe également de l’arboriculture, des vignes et des pastèques.

 

 

Nous avons parlé de la lutte biologique et de certaines idées reçues à son sujet, de son histoire, des opportunités et des défis de sa mise en œuvre en culture plein champ ainsi que des nouvelles technologies utilisant des drones pour relâcher des ennemis naturels des ravageurs des cultures.

 

Des idées fausses sur la lutte biologique et des avantages peu connus

Contrairement à certaines idées préconçues qui subsistent encore, le biocontrôle n’est pas réservé aux seuls producteurs biologiques. Tant qu’ils s’assurent de n’utiliser que des insecticides compatibles avec une protection biologique intégrée (PBI), les producteurs conventionnels peuvent également utiliser les solutions de biocontrôle. « 80 % de nos clients cultivent de manière conventionnelle et cherchent simplement des alternatives à leur pratique quotidienne de lutte contre les ravageurs et le biocontrôle est une solution idéale pour eux », explique Chrissie.​

Chrissie Davis, responsable nationale agriculture plein champ de Koppert aux États-Unis

Le biocontrôle présente plusieurs avantages pour les producteurs par rapport aux pesticides, au-delà des bénéfices déjà largement connus en matière de respect de l’environnement et de santé.

« Un pesticide n’est vraiment efficace que si sa couverture foliaire est bonne lors de sa pulvérisation. Mais celle ci est souvent difficile à obtenir si le feuillage est dense ou si, comme dans le cas des fraisiers, les feuille sont très dure, rendant la partie inférieure difficile à atteindre ». Le biocontrôle n’est pas confronté à la même contrainte: « Les ennemis naturels sont des chasseurs et sont très efficaces pour attaquer les ravageurs. Ils se déplacent dans le feuillage, trouvent leurs proies là où elles sont et les éliminent« .



Certains avantages opérationnels du biocontrôle peuvent également se traduire par des profits plus élevés pour les producteurs. Comme l’explique Chrissie, « Pendant les périodes de pic de production de fraises, les parcelles doivent être récoltées tous les jours ou tous les deux jours. Mais certaines applications d’acaricide empêchent les agriculteurs de récolter, en raison du délai de réentrée de trois jours et du délai avant récolte, ce qui peut leur faire perdre une partie de la récolte. Vous n’avez pas ce problème avec les auxiliaires des cultures« .

Les perspectives croissantes de la lutte biologique pour les cultures plein champ

L’utilisation du biocontrôle dans les cultures plein champ a déjà une longue histoire aux États-Unis et dans d’autres parties du monde : le célèbre cas de « biocontrôle classique » dans l’industrie des agrumes de Californie remonte au XIXe siècle, lorsque la coccinelle Rodolia Cardinalis a été importée d’Australie pour aider à lutter contre la cochenille australienne. Même les techniques contemporaines de lutte biologique par augmentation ont commencé à gagner en popularité il y a plusieurs décennies. Koppert, par exemple, a commencé à relâcher des acariens prédateurs sur les fraises de Californie dans les années 1980.

Le biocontrôle, très populaire en culture sous serre, pose une série de défis supplémentaire lors de sa mise en œuvre en culture plein champ. Cependant, il a déjà fait ses preuves pour améliorer la rentabilité de la production agricole pour les agriculteurs qui investissent le temps nécessaire à l’élaboration d’un plan de lutte intégrée détaillé.

« La première étape pour réussir votre programme de  lutte biologique en culture plein champ est de bien comprendre le système de production avec lequel vous travaillez: les producteurs doivent suivre des stratégies différentes selon qu’il s’agisse d’une culture annuelle ou pérenne, prendre en compte la variété de la culture et les pratiques culturales, comprendre quels sont les principaux ravageurs et surveiller leur apparition et doivent aussi collecter des informations précises de leur champ« .

Il est également très courant que les producteurs continuent à utiliser des pesticides en parallèle des agents de lutte biologique dans le cadre de leur stratégie de lutte intégrée contre les parasites, mais Chrissie nous rappelle que « en tant que producteur, vous devez vous assurer que vous utilisez des pesticides qui ne nuiront pas aux auxiliaires de culture et que vous collaborez avec eux. La première chose que vous devez savoir est si le pesticide  est sélectif ou à large spectre. Koppert a créé un guide des effets secondaires qui vous aide à voir si le pesticide que vous voulez utiliser est compatible avec les auxiliaires que vous avez introduits dans vos cultures« .

Le retour sur investissement du biocontrôle

Grâce aux protocoles existants pour les cultures annuelles, les producteurs peuvent s’attendre à un retour sur investissement dès la première saison. Pour les fraises, par exemple, tant que les lâchers d’acariens prédateurs sont programmés suffisamment en avance de manière à permettre qu’ils s’établissent à temps et contrôlent les nuisibles, les producteurs peuvent immédiatement constater la réduction de leurs besoins en pesticides.

Chrissie explique que « en moyenne, un producteur utilisant un programme conventionnel  de lutte contre les acariens jaunes tisserands (Tetranychus urtica) devra appliquer six à huit acaricides sur une période de huit mois de culture. Avec l’introduction anticipée des acariens prédateurs, les producteurs ne pulvériseront en moyenne qu’une ou deux fois pendant toute la saison, ou n’auront peut-être même pas besoin d’utiliser un seul acaricide, même en agriculture conventionnel« .

De nombreux producteurs de légumes qui tentent de réduire leurs coûts et de rendre leurs programmes de lutte contre les ravageurs plus efficaces utilisent également des auxiliaires des cultures. Chrissie prend pour exemple l’un de ses clients actuels : « En moyenne, pendant les six mois de la production de légumes, le producteur appliquait entre 15 et 18 insecticides à large spectre. En utilisant l’acarien prédateur Amblyseius swirskii et la punaise prédatrice Orius, auxiliaires qui attaquent les thrips, nous avons pu réduire ce nombre à trois pulvérisations par an« .

Les producteurs de cultures pérennes peuvent cependant mettre plus de temps à rentabiliser leur investissement. « Dans les vergers, par exemple, les producteurs peuvent déjà trouver une multitude d’ennemis naturels et de ravageurs sur leurs parcelles, qui se reproduisent et se développent depuis un certain temps”. Les producteurs doivent donc d’abord comprendre ce qui a été fait dans le passé, s’assurer qu’il existe des registres précis, savoir ce qui a été pulvérisé et se renseigner sur l’éventuelle présence de ravageurs dans les vergers voisins. « Si vous envisagez de mettre en œuvre un programme de lutte biologique intégrée, vous devez vous assurer d’avoir une approche pluriannuelle pour qu’il soit couronné de succès« .

Les drones apportent de nouvelles opportunités pour la mise en œuvre du biocontrôle

Pour répondre à quelques-uns des défis restants lors de la mise en œuvre du biocontrôle dans les cultures plein champ, Koppert a développé un système se connectant à un drone pour relâcher les auxiliaires des cultures à quelques mètres au-dessus du champ (ndlr : le service a été lancé aux États-Unis en partenariat avec UAV-IQ). Cette nouvelle technologie permet des applications extrêmement uniformes des ennemis naturels dans la parcelle, avec pour résultat un meilleur établissement que lors d’un lâcher manuel.

« Avant de lancer ce service officiellement, nous avons fait des tests pendant trois ans pour nous assurer de l’efficacité de nos applications. Nous avons par exemple étudié différents schémas de vol du drone pour chacune des espèces d’auxiliaire », commente Chrissie. « Nous avons obtenu d’excellents résultats lors de notre première saison, notamment en appliquant des acariens prédateurs sur les fraises. Tous nos producteurs qui ont demandé à lâcher les auxiliaires à l’aide de drones ont été extrêmement satisfaits et ils renouvellent leurs applications cette année ».

Lâcher d’acariens prédateurs au dessus d’un champs de fraise, grâce à un drone

Plusieurs raisons expliquent ce succès : le drone est très efficace pour faire des lâchers d’auxiliaires dans des parcelles qui ne sont pas accessibles avec un tracteur ou même à pied à cause, par exemple, de la boue causée par la pluie comme ce fut le cas l’année dernière en Californie, ou sur des terrains très escarpés. Des obstacles au milieu du champ, tels que les tuyaux d’arrosage, gênent parfois les ouvriers agricoles pour relâcher les auxiliaires à la main de manière uniforme, alors que le drone peut effectuer l’application facilement depuis les airs.

 

 

L’un des principaux avantages des drones dans les régions du monde où il y a une pénurie de main-d’œuvre est de pouvoir réaliser des lâchers d’auxiliaires même lorsqu’il n’y a pas suffisamment d’ouvriers agricoles disponibles. Selon son expérience chez Koppert, « Nous avons eu l’exemple d’un agriculteur gérant 200 hectares sur plusieurs exploitations agricoles, mais qui ne dispose que d’une équipe et doit donc organiser des navettes pour ses employés. En plus de cela,la présence de vent se renforçant souvent dans l’après-midi peut gêner le lâcher des auxiliaires, de sorte qu’il faudra peut-être plusieurs jours pour que cette équipe de travail couvre toutes les parcelles. Avec le drone, vous n’avez besoin que d’un seul pilote dans chaque exploitation, ce qui vous permettrait de les traiter dans le même laps de temps« .

 

 

Chrissie pense que ce type de technologie accélérera l’adoption du biocontrôle. « Lorsque les producteurs réaliseront que la mise en œuvre du biocontrôle est aussi rapide, sinon plus, que la pulvérisation de six acaricides, grâce à la technologie des drones, ils adopteront ce type de lutte contre les ravageurs à un rythme beaucoup plus rapide. Cela aidera également à l’utiliser dans des systèmes de cultures plus complexes tels que les vergers, les cultures d’amandier et les vignobles, et c’est vraiment passionnant! Qu’il s’agisse du développement de nouveaux protocoles ou du lâcher des agents de biocontrôle, travailler avec des noyers de 12 mètres de haut nécessitera une approche différente« .

 

 

Mettre en place une stratégie de protection biologique intégrée

Comme c’est le cas pour toute nouvelle pratique agricole, la mise en œuvre d’une stratégie de lutte intégrée contre les ravageurs peut être considérée comme une tâche ardue. Mais, selon Chrissie, elle n’est insurmontable même si un changement de mentalité est nécessaire. Elle recommande d’envisager la production de manière plus globale, en adoptant une approche pluriannuelle et en mettant en place un plan de culture clair avant que les ravageurs ne commencent à s’installer. Plusieurs précautions peuvent être prises pour se préparer à l’avance : optimiser les périodes de plantation, savoir quelles variétés sont plus sensibles que d’autres, rendre l’irrigation plus efficace, vérifier la compatibilité des fongicides ou des insecticides avec les ennemis naturels, pour n’en citer que quelques-unes. Les producteurs doivent également élaborer une stratégie pour savoir comment ils vont introduire les auxiliaires.

 

 

Un bon programme de lutte intégrée contre les ravageurs adopte généralement une approche préventive plutôt que curative pour maximiser les chances de succès. « Essayer de commencer à utiliser le biocontrôle uniquement comme un outil curatif, alors que vous avez déjà une population importante d’acariens ou une forte population d’aleurodes avec des moisissures sur vos plantes, n’est vraiment pas le meilleur scénario si vous essayez de maîtriser votre budget. Chaque saison, nous rencontrons nos agriculteurs pour mettre au point un plan mensuel et nous assurer que les auxiliaires des cultures sont utilisées de manière préventive plutôt que curative, ce qui permet de limiter le budget global« .

 

 

En guise de conclusion, Chrissie Davis encourage les producteurs à demander l’aide d’experts : « Il est important d’obtenir plusieurs sources d’information et demander conseil à vos experts en nutrition végétale, en lutte biologique mais aussi ceux des spécialistes locaux qui connaissent bien la région où vous cultivez« .

 

Chrissie et son équipe chargée de la lutte biologique intégrée en culture plein champ au sein de Koppert Biological Systems sont disponibles pour aider les producteurs et sont toujours disposés à collaborer avec eux pour développer de nouveaux protocoles pour différentes cultures et différents ravageurs.​

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