par Thomas Grandperrin

Publié le 20 mai 2020

Cet article a été initialement publié en anglais sur Freshfruitportal.com.

 

Depuis que  la notion de protection intégrée contre les ravageurs des cultures a été initialisée à la fin des années 1950, cette stratégie a été adoptée aux quatres coins du monde. La lutte intégrée contre les ravageurs est une stratégie écosystémique qui se concentre sur la prévention à long terme des ravageurs grâce à une combinaison des techniques disponibles. Elle intègre le biocontrôle, la modification des pratiques culturales, l’utilisation de variétés résistantes etc. mais aussi le contrôle chimique ciblé lorsqu’il est vraiment nécessaire, mais toujours dans une optique de minimiser les risques pour la santé humaine, pour les ennemies naturels, les pollinisateurs et l’environnement. Surendra Dara, entomologiste spécialisé en lutte intégrée travaillant actuellement à l’université de Californie en tant que conseiller auprès des agriculteurs, en est l’un de ses ambassadeurs les plus actifs en Californie.

 

Le concept de protection intégrée est né en réponse à la découverte de la résistance de certains ravageurs aux pesticides ainsi que de l’impact de la surutilisation des produits phytosanitaires sur l’environnement et la santé. Depuis, la lutte intégrée contre les ravageurs des cultures a beaucoup évolué et s’est développée. S’appuyant en grande partie sur ses recherches publiées dans son article « Nouveau paradigme de lutte intégrée pour l’ère moderne« , Surendra défend une approche plus holistique de la lutte intégrée contre les ravageurs, qui met l’accent sur ses avantages économiques et son acceptabilité sociale. Il se préoccupe non seulement de former les agriculteurs, mais aussi de s’assurer que les mécanismes du marché peuvent être exploités en informant les distributeurs et les consommateurs sur les atouts de ce type de pratiques.

Au cours de sa carrière, Surendra a travaillé sur un grand nombre de cultures, du manioc au raisin, en passant par le tabac et le coton, avant de rejoindre son poste actuel où ses travaux se concentrent sur les petits fruits (tel que les fraises et les myrtilles) et les légumes.

 

J’ai eu le plaisir de discuter de ces sujets avec Surendra et au cours de notre bref entretien nous avons évoqué certains des avantages de la lutte intégrée contre les ravageurs, le manque actuel de mesures incitatives facilitant son adoption, la différence entre la lutte intégrée contre les ravageurs et l’agriculture biologique, ainsi que la nécessité d’améliorer le suivi des ravageurs dans le champ et d’encourager la formation des agriculteurs.

 

 

L’adoption de la protection intégrée souffre d’un manque de mesures incitatives

 

La mise en œuvre de la lutte intégrée contre les ravageurs présente de nombreux avantages car elle permet d’optimiser le coût de production (un avantage pour l’agriculteur) et le coût des denrées alimentaires (un avantage pour le consommateur) avec des coûts environnementaux indirects limités, tout en offrant un avantage à long terme pour l’ensemble de la production alimentaire (un avantage pour l’environnement).

De nombreux producteurs connaissent la notion de lutte intégrée et de biocontrôle (l’une de ses tactiques les plus connues) et certaines cultures les appliquent déjà largement. À titre d’exemple, M. Surendra estime que « 90 à 95 % des producteurs de fraises en Californie utilisent des acariens prédateurs pour lutter contre les acariens ravageurs tels que Tetranychus urticae (ndlr: acarien jaune ou tétranyque tisserand). C’est l’un des meilleurs exemples de lutte biologique inondative en agriculture plein champ ».

 

Surendra Dara, in a strawberry field

Surendra Dara dans un champ de fraise

Mais il reste encore beaucoup de travail à faire pour encourager son adoption au niveau mondial. « Le manque de mesures incitant à l’adoption de la protection intégrée est probablement l’obstacle le plus important. Nous pourrions penser que la complexité de la lutte intégrée contre les ravageurs, le coût de certaines pratiques et d’autres facteurs de ce type seraient les principaux défis à relever. Cependant, je pense que le plus gros problème est que la mise en œuvre de la lutte intégrée contre les ravageurs n’est pas valorisée, car il n’existe pas de label pour montrer au consommateur qu’elle est sûre et respectueuse de l’environnement« , explique Surendra.

 

Relever le niveau des exigences pour tous les types de production et pas seulement pour les produits biologiques

 

Les pratiques conventionnelles sont devenues plus sûres grâce à de nouveaux produits phytosanitaires, à une législation plus stricte et à de meilleures connaissances, notamment grâce au développement de la lutte intégrée contre les ravageurs. La productivité de l’agriculture biologique s’est également améliorée grâce aux nouvelles technologies et aux nouveaux intrants agricoles, dont certains sont très proches des pesticides chimiques conventionnels. Pourtant, les pratiques conventionnelles et biologiques sont encore souvent considérées comme des pratiques, des philosophies et des modèles économiques diamétralement opposés. Certains consommateurs considèrent que l’agriculture biologique est plus sûre et respectueuse de l’environnement, mais qu’elles a des rendements plus faibles à un coût plus élevé, tandis que l’agriculture conventionnelle est considérée comme potentiellement nocive pour la santé et l’environnement, mais beaucoup moins coûteuse.

 

Cependant, Surendra partage une perspective plus nuancée. « Il y a également divers coûts environnementaux associés aux pratiques autorisées en agriculture biologique. Par exemple, certains pesticides biologiques sont non sélectifs et nuisent aux populations d’ennemis naturels. La surutilisation de certains pesticides biologiques a également entraîné des problèmes de résistance chez de nombreux ravageurs. Dans le secteur des fraises, des aspirateurs à insectes montés sur des tracteurs pour éliminer la punaise Lygus, ont peut être un impact global sur l’environnement plus important, à cause du carburant utilisé pour les faire fonctionner plusieurs fois par saisons, que le fait d’utiliser un tracteur seulement une ou deux fois pour appliquer un pesticide au cours de la même période ».   

 

En outre, le terme « durable » a un sens large et parfois vague qui est souvent mal compris. Il représente souvent la durabilité environnementale sans aucune considération des aspects économiques et sociaux de l’équation. « C’est là qu’une production basée sur la lutte intégrée contre les ravageurs assure la rentabilité pour les agriculteurs et les distributeurs, la sécurité pour l’environnement et la santé humaine, à un prix abordable pour les consommateurs« , explique M. Surendra.

 

Il ne faut cependant pas nier que l’essor de l’agriculture biologique et de ses certifications a contribué à relever le niveau des exigences des normes mondiales, en apportant de nouvelles connaissances et en encourageant la réglementation des produits potentiellement nocifs tout en permettant aux producteurs de vendre leurs produits à des prix plus élevés. En revanche, rien n’est fait au niveau du commerce de détail pour encourager l’achat de denrées alimentaires produites à l’aide de techniques de lutte intégrée contre les ravageurs. « Je comprends qu’ajouter une autre certification puisse sembler une charge supplémentaire mais on pourrait certainement réduire la complexité du processus et imaginer un label « Agriculture intégrée » ou « Agriculture raisonnée”« , pense M. Surendra (ndlr: en France, la certification “Haute Valeur Environnementale” est peut être ce qui se rapproche actuellement le plus de ce concept)..

 

Mais dans l’avenir, la certification et les prix différenciés pourraient-ils disparaître? « Si nous arrivions à créer un seul système de production alimentaire sûr et durable, alors il n’y aurait qu’un seul prix. Nous avons déjà plusieurs classes dans notre société et il n’est pas nécessaire d’introduire cela dans l’alimentation« , espère-t-il.

 

Suivis de ravageurs et formation à la protection intégrée

 

Surendra estime que les producteurs font de leur mieux pour se former et améliorer leurs pratiques compte tenu du nombre d’exigences auxquelles ils font face, qui prennent une grosse partie de leur temps et de leur effort, mais « j’aimerais qu’ils aient plus de temps pour apprendre de nouvelles techniques et pour avoir la possibilité de les mettre en œuvre« , regrette-t-il.

 

Il existe plusieurs ressources en ligne (ndlr: ces ressources sont en anglais) pour les producteurs souhaitant améliorer leurs connaissances, notamment le site web de protection intégrée des cultures de l’université de Californie, des revues scientifiques en libre accès (telles que le Journal of Integrated Pest Management), la revue électronique “Entomology and Biologicals” de Surendra, et des articles rédigés par ses collègues de l’université de Californie ou d’autres universités. Les agriculteurs et les praticiens de la lutte intégrée contre les ravageurs peuvent assister à des réunions de vulgarisation et à des webinaires ou consulter Surendra et ses collègues.

 

Pour entrer de plain-pied dans la mise en œuvre d’une stratégie de lutte intégrée, Surendra insiste sur l’importance du bon suivi de la présence de ravageurs (et de leurs éventuels ennemis naturels) dans les parcelles (comme j’en avais discuté avec Liron Brish de Farm Dog lors d’une précédente interview). « C’est l’une des composantes les plus importantes de la lutte intégrée contre les ravageurs, mais très souvent il n’y a pas assez de moyens humains et de temps pour couvrir toute la surface. Si les employés agricoles travaillant au jour le jour sur les parcelles étaient formés pour identifier les nuisibles et les maladies, cela contribuerait certainement à améliorer leur suivi. C’est l’un des aspects que je mentionne fréquemment dans mes interventions sur la lutte intégrée. Les drones et autres technologies de télédétection peuvent également être très utiles pour améliorer le suivi« .

 

Pour conclure, M. Surendra souligne que la généralisation de la lutte intégrée nécessitera également d’éduquer les distributeurs et les consommateurs qui doivent être informés de ses particularités. Il travaille sur cette question mais avertit que « c’est un long processus et j’essaye de trouver des collaborateurs pour travailler avec moi sur ce sujet« . Les entreprises de technologie et de services agricoles telles que UAV-IQ sont désireuses de soutenir les efforts de Surendra et si vous souhaitez participer à cette initiative, n’hésitez pas à contacter Surendra Dara.

Abonnez-vous à notre newsletter

Découvrez les actualités et des informations sur le biocontrôle, les témoignages d’utilisateurs et tenez-vous au courant des dernières nouvelles de UAV-IQ.

Articles sur des sujets similaires

0 Comments